Eminence, Monseigneur le Cardinal Erdo, Président du CCEE Eminences, Excellences, Bien chers Pères, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
Je tiens avant toute chose et avant même d’approfondir le sujet qui nous est proposé à l’occasion de cette rencontre, à en remercier tous les organisateurs, et notamment nos hôtes de la conférence épiscopale polonaise, présidée par Monseigneur Jozef Michalik, Archevêque de Przemysl, et du centre dela Caritaspolonaise. Soyez assurés de notre fraternelle reconnaissance pour ce geste d’amitié œcuménique.
En effet, l’œcuménisme et le cheminement vers l’unité des chrétiens sont composés non seulement de dialogue théologique, mais aussi de prières, de rencontres et de gestes manifestant la charité, l’amour que nous possédons les uns pour les autres, dans la reconnaissance de nos différences et l’acceptation de nos particularités. L’unité des chrétiens passe avant tout par la reconnaissance de notre unique foi en Jésus-Christ notre Sauveur. Cette déclaration quasiment axiomatique étant faite, il convient de reconnaître que notre foi doit s’incarner par les œuvres, et nos actions doivent signifier notre foi. Cette dialectique entre foi et œuvre nourrit l’expérience chrétienne telle que développée dans l’Ecriture Sainte. Corrélativement, l’œcuménisme doit aussi s’incarner dans le réel de nos sociétés et à plus forte raison aujourd’hui, dans le réel de nos sociétés européennes. Aussi, depuis 41 ans, le comité mixte KEK-CCEE approche cette question du dualisme de la vie chrétienne en envisageant avec courage, voire avec prophétisme, l’action d’un christianisme en dialogue dans une société en mutation.
Mutation, changement, transformation, métamorphose, ces termes renvoient à un décryptage objectif. L’état de l’Europe aujourd’hui n’est pas le même que celui du passé. La trajectoire entre le passé et le présent est une indication prospective qui tend à se faire une idée de ce que sera le futur. Aussi, la définition de cette trajectoire passe par une analyse critique de la situation afin d’intégrer le plus grand nombre de critères nous permettant d’avoir une vision la plus claire qui soit de la situation. Je ne ferai que citer certains de ces critères : économie, politique, migration, société et religion. Aujourd’hui le facteur religieux est devenu un prisme d’étude de la société qui, additionné aux autres, permet de comprendre les changements auxquels nous sommes confrontés.
Mais, arrêtons-nous, si vous le voulez bien, sur l’intitulé de notre rencontre : « Foi et religiosité dans une Europe qui change. Les nouveaux mouvements chrétiens en Europe : défis ou opportunités ? »
Les changements qui traversent l’Europe aujourd’hui la fragilisent. La crise économique des pays du sud du continent accroissent les inégalités avec le nord. L’intégration européenne est fragilisée. La montée de l’extrême droite fait craindre une fragmentation. L’affaiblissement du couple franco-allemand entraîne une déliquescence du fédéralisme. L’immigration, quant à elle, accroit le phénomène de replis identitaire. Ce dernier phénomène a des conséquences directes sur la religiosité européenne, car elle favorise le retour d’un communautarisme de type fondamentaliste accentuant les clivages interconfessionnels.
Il ne convient pas, cependant, d’être trop alarmiste. En effet, parce que nous pouvons parler de changement, nous constatons que la situation ne s’est pas cristallisée. Par contre, il est indispensable que nous puissions réfléchir à la manière de résister aux trajectoires de changement à l’intérieur de l’Union européenne en proposant des clés qui permettront de garantir l’égalité, l’intégration et la paix dans notre continent.
Le paysage religieux en Europe évolue notamment grâce à la formidable circulation existant à l’intérieur de la Communauté, mais aussi par la puissante attractivité du pôle européen. Nous constatons alors deux phénomènes. Le premier est une montée en puissance de l’Islam qui s’exprime tant au niveau de la démographie que de la visibilité. Le second est une recomposition des communautés chrétiennes permise par les facilités de déplacement dans le contexte régional qui est le nôtre. Permettez-moi de laisser volontairement de côté la question de l’Islam qui constitue un sujet en soi et qui aura toute sa place dans nos débats actuels. Je m’intéresserai avant tout aux métamorphoses des réalités ecclésiales européennes. En effet, l’expérience française, que je connais particulièrement bien, est symptomatique de l’émergence d’une nouvelle réalité qui marque la fin progressive de la territorialité telle qu’envisagée par le Traité de Westphalie, au 17e siècle. L’altérité confessionnelle déterritorialisée devient la forme quasi normative d’une confession majoritaire liée à des communautés minoritaires. A cet égard, l’œcuménisme devient un facteur d’intégration confessionnelle et régionale. En effet, l’émergence d’une réalité hautement diversifiée permet la multiplication des rencontres et des dialogues. Dès lors, la réalité œcuménique n’est pas si éloignée de la construction européenne elle-même.La Charte œcuménique va d’ailleurs dans ce sens lorsqu’elle déclare : « Les Églises encouragent une unité du continent européen. Sans valeurs communes, l'unité ne peut être atteinte de façon durable. Nous sommes convaincus que l'héritage spirituel du christianisme représente une force d'inspiration enrichissante pour l'Europe. » En nous réunissant, nous n’avons pas l’intention de nous poser comme des modèles, mais d’envisager la manière d’incarner notre foi commune dans une société tentée par la division et qui perd peu à peu le goût du vivre ensemble. Ce goût, c’est nous, chrétiens, qui devons le leur rendre. Ne sommes nous pas « le sel de la terre » ? Devenons le sel de l’Europe afin de lui redonner un sens en lui donnant du sens.
Chers amis,
Telles sont les quelques considérations que je souhaitais partager avec vous aujourd’hui en ouverture de la rencontre du Comité conjoint CCEE et KEK. Je suis donc certain que les présentations et les débats, qui suivront cette modeste communication, auront un grand intérêt et que les discussions qui en découleront seront susceptibles de signifier notre engagement à l’égard d’une fragmentation accrue de nos sociétés européennes. La collaboration existant entre le Conseil des Conférences Episcopales d’Europe etla Conférencedes Eglises Européennes est remarquable et je souhaite très sincèrement que les discussions qui auront lieu dans ce comité conjoint puissent influencer positivement les trajectoires futures de l’Europe.
Il ne me reste maintenant qu’à vous souhaiter de très bons travaux à toutes et à tous.
Merci de votre attention !
Varsovie, 4 février 2013